Christian Kettiger
Christian Kettiger prend ses premières photographies à l’âge de 8 ans avec l’Instamatic de sa mère, puis déniche dans un placard familial un Agfa Billy 6x9, pour lequel il obtient la promesse d’un développement de film hebdomadaire. C’est donc au rythme de 8 images par semaine (record qu’il pulvérisera lors de son dernier shooting La Roche Posay, passant la barre des 13 images par seconde) qu’il photographie les alentours de Nyon ainsi que ses proches, affirmant déjà un goût prononcé pour le portrait.
Très vite, il s’initie au laboratoire noir et blanc, découvre l’épure et le graphisme de Guy Bourdin dans un numéro de Zoom Magazine, s’offre à 14 ans un Leica M3 d’occasion, puis se fascine pour les tirages de Diane Arbus lors de son exposition à Nyon en 1977. Deux ans plus tard, poussé par sa mère, les tirages de ses portraits sous le bras, il intègre sur le fil l’École de Photographie de Vevey où il perfectionnera pendant 4 ans son regard et sa technique photographique. Il hésite alors à se lancer dans le grand reportage comme Joseph Koudelka ou photographier les femmes comme Helmut Newton. Il choisira les femmes.
Après deux ans en Suisse où il monte un studio dans un local désaffecté, il rejoint Paris pour assister le photographe de mode Steve Hiett et présenter ses images aux rédactions des magazines. C’est le Marie-Claire français qui lui fait d’abord confiance. Puis tout s’enchaine : entouré d’une équipe talentueuse de styliste, coiffeur et maquilleur, il publie ses images dans les pages des éditions italienne, anglaise et espagnole du Maire-Claire, puis celles du Vogue Bellezza. Sa photographie simple et directe, baignée d’une lumière chirurgicale séduit ensuite le Elle français avec qui il entame une longue collaboration. Des marques prestigieuses lui font également confiance. Il travaille en symbiose avec les directeurs artistiques pour construire, autour de ses images pures et intemporelles, des campagnes emblématiques comme celles de Ligne Roset ou La Roche Posay.
Toujours fasciné par le reportage social et la marginalité, il poursuit en parallèle son travail de portraitiste. Pendant que de grandes actrices (Isabelle Huppert, Charlotte Rampling, Juliette Binoche, Marion Cotillard, etc) passent devant son objectif, il réalise Gibsonton en 2005, une série de portraits simple et poignante dans laquelle il photographie un petit village de Floride devenu dans les années 40 un lieu de repos pour les Freaks et les gens du cirque. On y découvre un nain cracheur de feu, des avaleurs de sabre, un homme Baleine à la retraite, mais aussi un tatoueur, une serveuse, un cuisinier ou une esthéticienne, vivant tous à la marge, restant par choix ou nécessité à l’écart du monde, lui préférant celui qu’ils se sont créé. Depuis 2014, il poursuit un travail documentaire en noir et blanc sur son pays natal. Convoquant Richard Avedon et August Sander, Swissface a pour ambition de brosser le portrait d’un pays à travers ses habitants, selon un protocole de prise de vue in situ bien précis.
En 2017, il photographie ses Ladys, femmes d’âge mûr élégantes, apprêtées et pimpantes, qu’il rencontre dans les rues de Nice ou de Paris et font ressurgir le souvenir de ses deux grands-mères. Tirés en grand format, éclairés au flash et cadrés au plus près, il explore la surface de ces visages comme le ferait un enfant, l’œil vissé à un télescope braqué sur la lune. Derrière cette débauche de couleurs et de textures, les regards de ces femmes — parfois séduisants, souvent bienveillants — apparaissent dans un second temps pour faire écho à celui toujours tendre du photographe.
Ladys raisonne ainsi avec l’ensemble de son œuvre, car la photographie de Christian Kettiger semble en perpétuelle recherche de vérité : celle de la peau, dont il refuse la perfection lisse de l’industrie cosmétique ; et celle du regard, qu’il scrute inlassablement lors de chaque prise de vue pour en retranscrire l’émotion. La peau et le regard, comme deux piliers sur lesquels il peut construire sa définition de la beauté.
Arnaud Delrue,
Paris novembre 2018
English version
Christian Kettiger begins taking pictures at the age of 8 with his mother’s Instamatic camera, before finding in the family closet an Agfa Billy-I 6x9, for which he is promised one photo development per week. Thus, at a rate of 8 images per week (a number that he greatly surpassed during his last photo shoot for La Roche Posay with 13 images per second), he starts taking pictures of the Nyon area and his loved ones, revealing a strong taste for portraits.
Very soon, he learns how to develop in black and white, discovers Guy Bourdin’s sketches and graphic eye in an issue of Zoom Magazine, buys a second-hand Leica M3 at the age of 14, and develops a strong interest for Diane Arbus’s prints during her exhibition in Nyon in 1978. Two years later, his mother encourages him to apply for the École de Photographie de Vevey (Vevey photography school), where he spends 4 years honing his photographic vision and technical skills. He views his next step as a choice between “grands reportages” like those of Joseph Koudelka or, influenced by Helmut Newton, photographing women. He will end up choosing women.
After two years in Switzerland, where he opens a studio in a former warehouse, he moves to Paris to become Steve Hiett's assistant and presents his work to the editors of various magazines. The French Marie-Claire is the first to hire him. After that, everything moves very fast: he surrounds himself with a talented team of stylists, hairdressers and make-up artists and publishes his images in the Italian, English and Spanish editions of Marie-Claire and Vogue Bellazza. His simple and direct style, rendered with clinically-precise lighting convinces the French Elle to hire him, the beginning of a long collaboration. Prestigious brands also start offering him work. He works alongside artistic directors to create emblematic campaigns with his pure and timeless images, such as those for the Ligne Roset or La Roche Posay.
Still fascinated by social reporting and marginalization, he continues working as a portraitist. While famous actresses choose him as their photographer (Isabelle Huppert, Charlotte Rampling, Juliette Binoche, Marion Cotillard, etc.), he also creates Gibsonton in 2005, a series of simple and poignant portraits shot in a small Florida village, which became a resting place for freaks and circus people in the 1940s. Among them are a fire-breathing midget, sword swallowers, a retired whale man, as well as a tattoo artist, a waitress, a cook and a beautician, who all live on the margins of society, avoiding the world by choice or obligation. They prefer the world they themselves have created. Since 2014, he has been working on a black-and-white documentary about his home country. Swissface summons Richard Avedon and August Sander with the ambition of describing a country through its population according to a very specific in situ shooting protocol.
In 2017, he photographs his Ladys, elegant middle-aged women whom he meets in the streets of Nice or Paris. These women evoke memories of his two grandmothers. With large-format prints, flash lighting, and close-ups, he explores the surface of these faces, like a child exploring the moon through a telescope. The eyes of these women — sometimes attractive and often caring — appear behind the orgy of colors and textures to echo the photographer’s watchful eye.
Ladys thus echoes his entire work, for Christian Kettiger‘s photography is constantly seeking truth: truth of the skin, for which he refuses the smooth perfection advertised by the cosmetics industry, and truth of the gaze, which he scrutinizes relentlessly in each shoot to convey the emotions in them. He considers skin and gaze as the foundation of his vision of beauty.